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Introduction Quelles sont les implications juridiques de la présence et de l’absence du français dans les institutions internationales ? Doit-on continuer à enseigner le droit international en français si l’on veut former le plus grand nombre d’étudiants ? Existe-t-il une pensée juridique et une culture juridique francophones et, si oui, ne doivent-elles être diffusées qu’en français ? Quelles actions peuvent être menées pour développer cette place du français, à égalité avec l’anglais et les autres langues officielles des Nations Unies ? La Société française pour le droit international et la Société québécoise de droit international proposent ainsi de réfléchir, dans un cadre scientifique confrontant des universitaires et des praticiens francophones de plusieurs continents, à l’usage de la langue française dans la réflexion sur et la pratique du droit international. Le colloque « Penser le droit international en français » se tiendra le 17 octobre 2025 à la faculté de droit, d'économie et de gestion de l'université Paris Cité. Il sera précédé, le 16 octobre 2025, d'un séminaire de recherche.Présentation Avec 321 millions de francophones dans le monde, le français est la cinquième langue mondiale par le nombre de locuteurs, après l’anglais, le mandarin, l’hindi et l’espagnol (Observatoire de la langue française, 2022). Il est la seule langue, avec l’anglais, à être présente sur les cinq continents et il est la langue officielle ou co-officielle dans 45 Etats ou subdivisions d’Etats dans le monde. On le sait, le choix des cinq langues officielles des Nations Unies ne relève pas de la seule logique linguistique mais plutôt d’une logique de puissance, telle qu’elle était conçue à la fin de la Seconde guerre mondiale (Focsaneanu, 1970). Or la place de ces langues et ces rapports de puissance ont depuis évolué.
La langue française bénéficie d’un statut plutôt favorable dans les institutions internationales puisque lorsqu’une organisation dispose de plusieurs langues officielles, y figure le français ; plusieurs villes francophones rassemblent des institutions internationales (Genève, Bruxelles, Luxembourg, Montréal, Paris) et 9% des fonctionnaires internationaux sont français (site du MEAE français). En pratique, toutefois, la situation apparaît moins satisfaisante, objectivement et subjectivement. Plusieurs rapports émanant d’organisations internationales constatent le déséquilibre en faveur de l’anglais au détriment des autres langues officielles dans les réunions non officielles (les plus nombreuses), les processus de recrutement, la communication externe ou encore les appels d’offres ou les appels à projets (OIF, La langue française dans le monde 2019-2022). Ce déséquilibre est également ressenti par le personnel des organisations. Selon une enquête menée à l’ONU en 2022, un nombre très élevé de personnes ayant choisi le français comme langue principale n’était pas d’accord ou pas du tout d’accord avec l’affirmation selon laquelle « A l’ONU, je suis libre de travailler dans n’importe laquelle des langues de travail de l’entité qui m’emploie », en comparaison de tout autre groupe linguistique identifié (Cadre stratégique des Nations Unies sur le multilinguisme, 2024).
L’usage du français dans les institutions internationales n’est pourtant pas dépourvu de cadre normatif, qu’il s’agisse des actes constitutifs des organisations internationales, des règlements de leurs organes identifiant les langues de travail, des statuts des juridictions internationales ou encore d’accords conclus entre, par exemple, la Cour pénale internationale et la Francophonie en 2012 pour assurer la visibilité de la langue française et son implication dans la mise en œuvre de la justice pénale internationale. Mais la culture linguistique de chaque organisation n'est pas tant définie par ces « décisions institutionnelles formelles » que par « les influences conjuguées » des langues officielles, de travail, de communication, du pays d’accueil, nécessaires à l’accomplissement des missions des organisations (Plas, 2017), et des cultures qui y sont attachées.
La langue est à la fois un « attribut de la souveraineté nationale et un instrument de communication » (Chatillon, 2002), « son vocabulaire, sa syntaxe sont une façon de penser le monde, de découper la structure du monde » (Villey, 1974). Le droit emprunte son vocabulaire au langage courant, « mais opère ensuite une transformation plus ou moins profonde du sens des mots » (Reuter, 1970), le rendant plus technique. La langue juridique reflète dès lors à la fois une culture nationale et un ordre juridique national. Mais qu’en est-il du droit international s’il ne repose que sur une seule langue, improprement considérée comme internationale? Négocier, délibérer, juger, arbitrer, codifier dans une seule langue soulèvent des problèmes juridiques, au-delà des questions de traduction et d’interprétation des textes. Une langue véhiculaire internationale peut présenter des variantes dans les Etats dont elle est la langue officielle, mais également des variantes nationales au moment de l’application du texte international unilingue. Certains Etats, comme la France, soumettent à l’autorisation du Parlement pour ratification et publient les versions traduites des traités internationaux rédigés dans une langue étrangère, qui ne constituent pas la version authentique de l’acte. Mais parce que la langue véhicule une culture, former des étudiants en français, dans des universités françaises ou francophones, a une incidence sur leur perception du droit international.
Quelles sont les implications juridiques de la présence et de l’absence du français dans les institutions internationales, dans les processus de négociation, de codification, dans le fonctionnement des juridictions internationales ? Doit-on continuer à enseigner le droit international en français si l’on veut former le plus grand nombre d’étudiants ? Existe-t-il une pensée juridique et une culture juridique francophones et, si oui, ne doivent-elles être diffusées qu’en français ? Quelles actions peuvent être menées pour développer cette place du français, à égalité avec l’anglais et les autres langues officielles des Nations Unies ? Car le débat sur la francophonie s’inscrit aujourd’hui dans celui sur le multilinguisme, qui « exprime une réaction contre l’appauvrissement de la pensée et de l’expression entraîné par l’utilisation d’une langue unique » (Smouts, 1981), mais également une « valeur fondamentale de l’ONU » (A/RES/78/330, 2024) et un « élément fondamental de la diversité culturelle » (Convention Unesco, 2005). Pour atteindre cet objectif, dans quelle mesure doit-on penser un droit international linguistique, entendu comme « un ensemble de normes juridiques ayant pour objet le statut et l’utilisation d’une ou plusieurs langues, nommées et innommées, dans un contexte politique donné », voire des droits linguistiques, à savoir des « droits à la fois individuels et collectifs compren[ant] le droit à "une" langue » (J.-G. Turi, 1990) ?
La Société française pour le droit international et la Société québécoise de droit international proposent ainsi de réfléchir, dans un cadre scientifique confrontant des universitaires et des praticiens francophones de plusieurs continents, à l’usage de la langue française dans la réflexion sur et la pratique du droit international. |